L'adolescence; Cette période évoque pour chacun de la solitude, de l'incompréhension pour une phase que l'on sait transitoire mais qui marque déjà la fin d'une époque. Ceux là vivent au square Lamartine ; ils appartiennent à une époque aussi révolu qu'intrigante, qui enferme à jamais leur adolescence dans un passé désormais inaccessible.
Epoque béni des dieux, où le temps semble passer moins furtivement, moins s’agacer, mais où les tourments amoureux et les premiers émois rattrapent toujours aussi vite les adolescents émotifs.
Il y règne une ambiance caractéristique des années 50 ; la prestance de professeurs aussi fascinants qu'intransigeants, les cinémas de quartier qui ne passent que des films en noir et blanc, le téléphone dont on ne se servait pas ou si peu. Mais le temps pourtant a passé sans rien changer aux mêmes règles cruelles que les adolescents régissent entre eux, au sentiment qu'il faut se confronter au monde des adultes, au même vague à l'âme ressenti face à l'uniformisation des semaines d'école, avec la grisaille du ciel qui fait écho à celle des préaux, tandis qu'on se languit d'une histoire palpitante qui pourrait nous faire dévier de notre trajectoire rectiligne.
Que l'on soit un adolescent des années 50 ou 90, c'est ce vague à l'âme qui fait que lorsque l'on cherche des souvenirs, on ne se rappelle parfois que d'une vague impression.
Seulement un rien peut nous réveiller de notre torpeur. Alexandre Vichnievsky-Louveciennes, c'est ce qui va arriver au "petit garçon". Un flambloyant météore russe, qui impose silencieusement, majestueusement sa beauté aussi grave qu'élégante à un univers décrépi qu'il va dès lors raviver. Tout en lui suscite l'admiration des plus grands ainsi que des professeurs, ce qui n'échappe pas au personnage principal, qui dès lors, conquis, n'a d'autres espérances que de devenir son ami intime. Tout le fil du récit se tourne vers cette fascination pour un garçon dont le charme n'a d'égal que sa théâtralité, son tempérament flamboyant faisant écho à sa "russité", un terme qu'il utilise volontiers pour se définir. C'est cela la force de ce roman de Philippe Labro : tous ses personnages semblent taillés dans le romanesque, trempé dans une autre réalité. L'auteur leurs prête sa plume pour leur offrir une histoire, des traits et un caractère mystérieux. S'opposent à eux la figure du héros, qui comprend la facilité avec laquelle s'exerce l'influence des plus forts.
C'est toujours avec la même fascination que, déjà entièrement happé par la présence d'Alexandre, il va tomber irrémédiablement amoureux de la sœur de ce dernier. Même beauté grave, même charisme qu'elle fait ressentir par sa parole ou d'un mouvement de mains. Avec elle le "petit garçon" va connaître la quête d'un absolu, l'aspiration à quelque chose de grand et fort.
C'est un récit plaisant avec de jolies réponses sur le mal-être adolescent ; on y voit comment nos sentiments transforment notre vision du monde, comment l'envie de se dépasser naît de notre amour... J'ai aussi aimé qu'un plus vieux que moi me parle de mon adolescence. Car même s'il romance sa propre histoire, Philippe Labro tente aussi de mettre des mots sur ce ressenti. C'est le récit de quelque chose qui demeure éternel, tant qu'il y aura des jeunes gens pour le vivre.
15 ans en extraits
L'une des descriptions d'Alexandre p.25 : "Il avait parlé avec lenteur, une certaine morgue. Son vocabulaire nous paru pesé, choisi, plus diversifié que le nôtre, avec, dans le ton d'une voix déjà débarrassée des enrouements de la mue adolescente, quelque couleur étrangère, un imperceptible roulement des"r". Il parlait comme un comédien, sans doute, mais avec un débit qui ne sonnait pas faux, y mettant suffisamment de charme pour espérer rallier ceux qui auraient pu le trouver dédaigneux".
Se dégoût de leur comédie, mais immédiatement ce sentiment est éclipsé par l'adoration qu'il voue ausi bien à Anna qu'à son frère p.90 : "Du théâtre ! Ces gens là vivaient comme au théâtre ! Une bouffée de violence, un dégoût de leur comédie traversèrent mon esprit et je compris confusément ce que son frère avait voulu dire lorsqu'il m'avait avoué : "Je la hais." [...] Mais aussitôt, le "je l'adore" d'Alexandre reprenait le dessus".
Le personnage de Dubareuilles ; p.30 : "C'était une voix majestueuse, riche, qui jurait avec la malheureuse carcasse épuisée d'où elle émanait, mais conforme au caractère et à l'éthique du personnage. Dure, volontaire, susceptible d'entraîner et captiver l'adolescent le plus ignare comme le plus rebelle. Un voix de commandement, avare de compliments mais douée pour l'admonestation, la stimulation, et qui vous tenait en éveil, fouettait votre fierté et entretenait votre crainte de rester en rade sur le bas-côté de la route".
Son regain de solitude quand il veut effacer ses peines dans la violence de la pluie ; p.178 :"Je voulais que la grêle face de moi un être différent de ce jeune homme hésitant, déchiré entre ses désirs contraires, ses tentations et ses fantasmes et que, par le même phénomène, la grêle purifie aussi Anna et que le ciel me la rende telle que je l'avais aimée et rêvée, intacte".
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[Pour ceux qui veulent vivre une époque délicieusement désuète,
Qui sont aux prises avec une relation toxique
Qui veulent vivre ou comprendre les premières fascinations adolescentes,
Mettre des mots sur ses émotions intenses, la fascination et l'intensité
Vivre la passion, la fusion et l'amour au travers de grands personnages de romans]