• Rien ne s'oppose à la nuit DELPHINE DE VIGAN

    Les noms familiaux ont beau changer, il reste toujours dans la descendance les traces de blessures anciennes. On peut croire qu'elles se dilueraient dans la transmission familiale, en vérité elles n'en ressortent que plus fortes, resurgissent par d'autres formes, prennent un pli inattendu ou se mêlent à des chagrins constitués avec le temps. Delphine a beau porter le nom de son mari, les catastrophes familiales dont elle est issu resteront en elle. 

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    Alors pour tenter de comprendre sa mère, Delphine essaie de l'approcher dans ce qu'elle connaît d'elle aussi bien que ce qu'elle ignore. Pour cela, témoignages, photos, vieilles disquettes où le père se raconte, et autres archives familiales constituent autant de pièces à rassembler que de vérités, d'interprétations différentes. Tâtonnant littérairement à travers des prises de position différentes, au début narrateur extérieur donnant des traits romancés aux souvenirs d'enfance de Lucile, l'auteur reprend sa place de petite fille angoissée à l'idée que sa mère puisse se faire du mal. Du roman familial qui connaît les joies les plus réjouissantes, on assiste impuissant aux heures de pure angoisses, où Lucile passe de l'insouciance à l'absence, aussi bien physique que mentale, jusqu'à atteindre la folie. L'auteur parle avec ses yeux d'enfants d'un monde où il n'y a plus de place pour la stabilité. Malgré les chorégraphies qu'elle invente, les poupées éparpillées sur le sol et plus tard les bonbons qu'elle vole à l'épicerie, tenter d'agir comme n'importe quel enfant de son âge, aller jusqu'à oublier la menace qui pèse sur leur vie semble impossible. Sa mère gardera tout, toutes les babioles qui constitue l'histoire familiale. Et le plus important, elle aura pris le temps de dactylographier en plusieurs exemplaires ses écrits. Tant mieux, car pour s'approcher de l'origine de la souffrance, rien de mieux que ce qu'on laisse de soi, car c'est bien ce dont il est question dans ce livre. A travers l'écrit, Delphine cherche sa mère. Même s'il n'est pas envisageable de parler d'elle alors que Lucile se taisait.

    Alors comment parler d'elle ? Quelle place Delphine peut-elle occuper pour parler le mieux de sa mère, pour la laisser se révéler le plus possible, elle pour qui les mots ne s'écrivent plus qu'ils ne se disent ? Dans l'escapade que constitue les volutes de fumée et les verres à pied, elle ne laissera à ses filles que le silence auquel s'accrocher. En cherchant à fuir la douleur, Lucile s'éloignera aussi immanquablement de sa famille. L'alcool fait bon ménage avec la solitude. Celle qu'elle aime et impose. Ce qui est d'autant plus difficile pour écrire.

      Il faut trouver à l'auteur les bons mots, ceux qui exprime une vérité pure sur sa mère. Or comme dans toute expérience biographique, on n'a accès qu'à une connaissance partielle de l'autre; et quand les mots se révèlent incomplets pour l'exprimer, alors toute vérité se dérobe à nous. Pour autant, la subjectivité de l'auteur -il s'agit de sa mère et non pas d'un spécimen à étudier- se prête à une lucidité indéniable.  
    Au besoin de trouver l'origine du mal de Lucile, s'ajoute celui de confesser son expérience dans l'écriture. Il y a ainsi ses parenthèses de sincérité juxtaposé au récit, qui nous rendent encore plus proche non pas de l'écrivain mais de Delphine, de son humanité, car elle nous fait là le don entier de sa personne. C'est sans doute le plus beau que l'on puisse trouver dans ce livre : il ne s'agit pas de lointains personnages, d'enjolivement bluesques, et l'écriture n'a pas pour fonction de nous faire échapper du réel. En la rendant vivante à nous yeux, sa fille offre à Lucile le plus beau des "cercueils de papier". 
     
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    [Pour ceux qui veulent comprendre l'impact et les répercussions d'une famille sur eux, qui cherchent un témoignage de ce qu'est la schizophrénie, qui voudrait se défaire d'un passé familial, ou sentir que leur douleur est légitime]
     

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