• Parcours de Lecture - Annexe Roman Familiaux

     
    Voici une petite sélection de lecture annexe à celle de la biographie de Delphine de Vigan. Ces livres tournent autour d'un même sujet, mais apportent des variantes différentes, certains se concentrant sur le manque, la douleur, d'autres ayant recours à la fiction, ou à un ton humoristique ("La balade de Baby") pour faire vivre des personnages toujours émouvant. Ils peuvent se lire comme une prolongation du roman "initial" ou partir dans une branche différente. 
     
    > Dans la voie des biographies 
     
    Philippe Grimbert - Un secret
    La sensibilité d'un enfant qui comprend instinctivement, et malgré les non-dits qu'on lui oppose, que bien qu'enfant unique il a "longtemps eu un frère"... Lui n'étant pas comme ses parents, des athlètes accomplis, ne partageant pas ce même culte des corps qui le maintient à l'écart ; il ressent l'exclusion de ceux qui partagent un "deuil impossible". Histoire écrite en deux partis, la première sur ses origines à laquelle il a crû, et la deuxième qui lui fera découvrir le passé véritable de ses parents et comprendre l'influence qu'elle a encore sur le présent. 
    + Le point commun : Le style d'écriture, joliment poétique, à l'époque de la Seconde Guerre mondiale. 
     
    Anny Duperey - Le voile noir
    Il fallait oser être aussi sincère, dire les mots qui ne sont pas avouables :"être orpheline, c'est épatant". Ce livre est aussi bien un regroupement de tous les moments qui expriment sa douleur, qui lui donnent forme, et qui sont autant de témoignages du manque, que de photos accompagnés de commentaires très drôles. 
    + Le point commun : on retrouve l'histoire d'une famille joyeusement barré, racontée de façon très vivante.
     
    >  Dans la voie de l'héritage familial
     
    Monica Sabolo - Tout cela n'a rien à voir avec moi
    Afin de comprendre ce qui se joue en elle lorsqu'elle tombe amoureuse, le pourquoi de ses errements, de son aveuglement et de ses déceptions, l'auteur va chercher la part transmise par ses parents, celle qui se rejoue et qu'elle ne cesse de faire revivre. Elle donne à son roman une forme inédite, construit scientifiquement selon les principes métaphysiques de l'amour, en se proposant comme sujet d'étude. Où se mêle aussi bien un vocabulaire de fin du monde que des lettres hilarantes écritent à la direction de FB demandant l'autorisation d'espionner le profil de son copain. 
    + Le point commun : on retrouve la question de l'influence des parents sur l'être en devenir que nous sommes, écrit noir sur blanc. 
     
    Dans la voie des parents irresponsables
     
    Heather O'Neill - La balade de Baby
    Drôle de nom pour un enfant. Peut être moins quand on sait que Baby suit son père junkie partout où il va, lui vouant un culte naïf et touchant, même quand elle se retrouve placé en foyer. Tout est écrit de son point de vue auquel il nous faut se fier. 
    + Le point commun : c'est la lutte pour conserver sa part d'enfance et son innocence, protégée par l'imagination. 

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  • "Acceptez-vous d'être le premier détective qui va enquêter sur quelque chose qu'il ne sait pas à l'avance ?

    -Pardon ?"

    Le Rouge et le vert ; Jean-Bernard Pouy

    Rouge&noir

     Ce récit est un drôle de faux polar où les témoins se racontent avec force détails, où les assassins ne se trouvent que dans les pages des journaux et où le détective doit trouver lui même le mystère à éclaircir ! Un peu absurde, et c'est pourtant ce qui va être proposé à Averell, dont le seul outil de travail était jusque là son odorat hors du commun. Pourtant, s'il arrive à débusquer les odeurs chimiques de celles, véritables, de citronniers d'Italie, il n'arrive pourtant pas à flairer la bonne piste : tout lui passe sous le nez, pour ainsi dire, car Adrien, (de son vrai nom) s'il est amateur de roman noir est aussi à contre courant de la figure classique du détective. On peut oublier l'imperméable et la loupe, même s'il garde la bouteille à la main. Allant même parfois jusqu'à l'absurde (comme le fait Alain Robbe-Grillet dans "les Gommes" *tout est dans le titre*) Jean-Bernard Pouy reprend au roman noir américain son pessimisme, et ses critiques sur les "dysfonctionnement du monde" (dixit le sociologue directeur de thèse au CNRS à l'origine de cette fameuse enquête introuvable). Sauf que dans ce faux roman policer l'auteur n'a que faire de se "méfier des interprétations et donc des hypertextes". D'où de sacrées digressions sur la saleté des rues de Naples (toujours au nom de la critique sociale). Cependant, sa sensibilité d'Averrel ne le mène pas toujours aussi loin, car à force de se confronter aux misères et aux drames du monde, on n'en ressort pas indemne. D'observateur naïf Averell va devenir cynique, limite pas concerné par ce qu'il voit, même lorsqu'il sauve sa voisine des poings de son mari : "J'avais tout à coup un nouveau sujet d'enquête. Dès que le temps serait un peu passé, [...] je pourrais lui demander comment on en arrive là. Mais je risquais d'être déçu. Peut être tout simplement le couple chômage/alcool". Paf. 

    Les anecdotes futiles s'ajoutent aux critiques risibles, et tout ça donne un curieux mélange, bien plus sérieux qu'on ne le pense. Alors même qu'il s'agisse d'un roman noir et qu'il soit daltonien, Averell fait nos yeux et notre nez en nous faisant ressentir ce qu'il y a de plus jouissif à profiter des couleurs, des odeurs, bref de tout ce qui met nos sens en éveil. Beau pied de nez ! La description des milles et une nuances de bleu par lesquelles passe la nuit est simplement magique. Et finalement on se surprend à tourner frénétiquement les pages, à lire ce livre comme un vrai roman policier, tant on a hâte de découvrir quel va être le mystère à élucider...

    En ne se prenant pas le moins du monde au sérieux, et en faisant passer son message avec un humour qui fait parfois mal, l'auteur nous offre t-il un récit vraiment si à contre-courant de ce qu'est le roman noir ? 

     
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    [Pour ceux qui veulent  tout prix hurler de rire et ceux dès maintenant ! Qui pestent contre tout et rien, ils trouveront un véritable second degré salvateur]

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  • Les noms familiaux ont beau changer, il reste toujours dans la descendance les traces de blessures anciennes. On peut croire qu'elles se dilueraient dans la transmission familiale, en vérité elles n'en ressortent que plus fortes, resurgissent par d'autres formes, prennent un pli inattendu ou se mêlent à des chagrins constitués avec le temps. Delphine a beau porter le nom de son mari, les catastrophes familiales dont elle est issu resteront en elle. 

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    Alors pour tenter de comprendre sa mère, Delphine essaie de l'approcher dans ce qu'elle connaît d'elle aussi bien que ce qu'elle ignore. Pour cela, témoignages, photos, vieilles disquettes où le père se raconte, et autres archives familiales constituent autant de pièces à rassembler que de vérités, d'interprétations différentes. Tâtonnant littérairement à travers des prises de position différentes, au début narrateur extérieur donnant des traits romancés aux souvenirs d'enfance de Lucile, l'auteur reprend sa place de petite fille angoissée à l'idée que sa mère puisse se faire du mal. Du roman familial qui connaît les joies les plus réjouissantes, on assiste impuissant aux heures de pure angoisses, où Lucile passe de l'insouciance à l'absence, aussi bien physique que mentale, jusqu'à atteindre la folie. L'auteur parle avec ses yeux d'enfants d'un monde où il n'y a plus de place pour la stabilité. Malgré les chorégraphies qu'elle invente, les poupées éparpillées sur le sol et plus tard les bonbons qu'elle vole à l'épicerie, tenter d'agir comme n'importe quel enfant de son âge, aller jusqu'à oublier la menace qui pèse sur leur vie semble impossible. Sa mère gardera tout, toutes les babioles qui constitue l'histoire familiale. Et le plus important, elle aura pris le temps de dactylographier en plusieurs exemplaires ses écrits. Tant mieux, car pour s'approcher de l'origine de la souffrance, rien de mieux que ce qu'on laisse de soi, car c'est bien ce dont il est question dans ce livre. A travers l'écrit, Delphine cherche sa mère. Même s'il n'est pas envisageable de parler d'elle alors que Lucile se taisait.

    Alors comment parler d'elle ? Quelle place Delphine peut-elle occuper pour parler le mieux de sa mère, pour la laisser se révéler le plus possible, elle pour qui les mots ne s'écrivent plus qu'ils ne se disent ? Dans l'escapade que constitue les volutes de fumée et les verres à pied, elle ne laissera à ses filles que le silence auquel s'accrocher. En cherchant à fuir la douleur, Lucile s'éloignera aussi immanquablement de sa famille. L'alcool fait bon ménage avec la solitude. Celle qu'elle aime et impose. Ce qui est d'autant plus difficile pour écrire.

      Il faut trouver à l'auteur les bons mots, ceux qui exprime une vérité pure sur sa mère. Or comme dans toute expérience biographique, on n'a accès qu'à une connaissance partielle de l'autre; et quand les mots se révèlent incomplets pour l'exprimer, alors toute vérité se dérobe à nous. Pour autant, la subjectivité de l'auteur -il s'agit de sa mère et non pas d'un spécimen à étudier- se prête à une lucidité indéniable.  
    Au besoin de trouver l'origine du mal de Lucile, s'ajoute celui de confesser son expérience dans l'écriture. Il y a ainsi ses parenthèses de sincérité juxtaposé au récit, qui nous rendent encore plus proche non pas de l'écrivain mais de Delphine, de son humanité, car elle nous fait là le don entier de sa personne. C'est sans doute le plus beau que l'on puisse trouver dans ce livre : il ne s'agit pas de lointains personnages, d'enjolivement bluesques, et l'écriture n'a pas pour fonction de nous faire échapper du réel. En la rendant vivante à nous yeux, sa fille offre à Lucile le plus beau des "cercueils de papier". 
     
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    [Pour ceux qui veulent comprendre l'impact et les répercussions d'une famille sur eux, qui cherchent un témoignage de ce qu'est la schizophrénie, qui voudrait se défaire d'un passé familial, ou sentir que leur douleur est légitime]
     

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