• [Il y a des romans qui nous racontent, parce que la littérature aime parler de nous et de la vie qu'on mène. Elle trouve sa source dan le réel, et les auteurs écrivent sur leurs contemporains. Alors le lecteur partage avec son alter-ego de papier tout ce qui le concerne. Tout est fait pour qu'ils s'entendent, car si l'on tend "le miroir le long du chemin" (comme ce plaisait à le dire Flaubert) tout deux peuvent se reconnaître. Si les romans sont des révélateurs de vérité, et qu'on les lit, alors on saura à quoi ressemble notre vie, et peut être même savoir ce que l'on pense. Alors de quoi parle t-on en littérature ? Quel est le courant présent qui pousse les auteurs à écrirent ?*]

    *(cet article est fait à partir de mes observations personnelles sur des livres que j'ai lu et synthétisé, il est donc subjectif et n'a pas de valeur sociologique ou autre)

    1. Le quotidien  .ce qui transparaît derrière la futilité apparente de certaines existences de bonnes épouses et ménagères qui mène leur monde à la baguette, on l'apprend au détour de confessions volés à la banalité du quotidien. Le livre le plus marquant à ce sujet est sans doute Arlington Park. Il fallait bien une romancière pour le comprendre. Le roman plonge dans l'esprit de ses mères et épouses qui ont oubliés d'être femmes. Il évoque le quotidien plein de renoncements de femmes aux foyers qui ne s'attendaient pas à vivre tels des automates. On connaît tous quelqu'un, et on peut tous être touché par cette impression de répétition, d'usure, qui conduise à l'ennui, alors que l'on cherche des expériences nouvelles. Ce qu'il y a de commun à notre époque, et que l'on retrouve dans la littérature, c'est le sentiment que l'on appartient peut être trop à la vie, à la routine,  celle qu'on s'est forgée tel une solide carapace - mais qu'elle peut être remise en cause. 

     

    2. La liberté et le voyage .que ce soit pour un jour comme dans "Les âmes soeurs" de Zennati, roman dans laquelle l'héroïne ne se rend pas à son travail pour profiter d'une journée, ou pour une durée indéterminé comme le fait Jack Kerouac dans "On the Road", l'envie de tout envoyer promener, et d'aller vagabonder, dans les rues, sur des routes côtières, voir sur les traces des ours en Alaska, sans aucun motif apparent, se retrouve dans l'esprit de plusieurs romans contemporains. Assez pour former un espèce de mouvement, comme le furent le naturalisme ou le romantisme ? La nouvelle question qui préoccupe l'Homme depuis peut être deux siècles est de savoir comment il peut faire pour être heureux. Cela devient le but du voyage, une quête identitaire de soi qui intervient au moment où l'on se sent prisonnier de ce qui s'est constitué au fil du temps autour de nous. Comme si on était dans une grande toile d'araignée un peu trop solide, regardant évoluer à travers nos filets d'argent, d'autres existences hors de porté mais dont l'une aurait pu devenir la notre. Un temps de silence semble nécessaire, celui des pensées. Un moment pour laisser agir notre vacarme intérieur, lui faire dire ce qu'il veut.

     

    3. La spiritualité .en littérature ses parenthèses de liberté deviennent des voyages. Des voyages, qui qu'importe la destination où l'on va, deviennent des voyages intérieurs. Drôle de paradoxe de devoir partir pour trouver ce qui avait toujours été en nous. Ce qui différencie ses voyages des conquêtes, où l'on n'avait que la découverte des Terres nouvelles en ligne de mire, et pas uniquement de soi, qui les fait d'avantages penser à des pèlerinages ou des quêtes spirituelles. Qu'il s'agisse d'une bouffée d'oxygène ou d'une plus profonde remise en question, cela amène à de profonds bouleversements. Maître de l'enchevêtrement des récits, d'histoires dans l'histoire et de personnages lisant des romans, Valérie Zennati sait parler de ce qui relit la personne au personnage, celui qui se dévoile et celui qui comprend.

     

    4. Et en sociologie .alors que selon certains "preneur de température de notre époque", dont l'auteur de "Le jour où les enfants s'en vont" Béatrice Copper-Royeron et François de Singly ("Sociologies de l'individu") l'homme moderne éprouverait le besoin constant de changer, d'avoir des identités multiples, de se teindre les cheveux en roses puis de se la jouer punk le temps d'une soirée, tel que le décrit un article du ELLE paru en novembre dernier. L'idée de n'être fait de rien d'autre que de moments changeants, interrompus, de faire un voyage fulgurant, finalement les romanciers ont-ils raison ?

    LA PHRASE QUI RESUME TOUT : L'envie de s'évader du quotidien pousse le personnage à s'investir dans des voyages, où il pourra partir à la connaisance de soi grâce à un personnage qui lui ressemble.


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  • "Acceptez-vous d'être le premier détective qui va enquêter sur quelque chose qu'il ne sait pas à l'avance ?

    -Pardon ?"

    Le Rouge et le vert ; Jean-Bernard Pouy

    Rouge&noir

     Ce récit est un drôle de faux polar où les témoins se racontent avec force détails, où les assassins ne se trouvent que dans les pages des journaux et où le détective doit trouver lui même le mystère à éclaircir ! Un peu absurde, et c'est pourtant ce qui va être proposé à Averell, dont le seul outil de travail était jusque là son odorat hors du commun. Pourtant, s'il arrive à débusquer les odeurs chimiques de celles, véritables, de citronniers d'Italie, il n'arrive pourtant pas à flairer la bonne piste : tout lui passe sous le nez, pour ainsi dire, car Adrien, (de son vrai nom) s'il est amateur de roman noir est aussi à contre courant de la figure classique du détective. On peut oublier l'imperméable et la loupe, même s'il garde la bouteille à la main. Allant même parfois jusqu'à l'absurde (comme le fait Alain Robbe-Grillet dans "les Gommes" *tout est dans le titre*) Jean-Bernard Pouy reprend au roman noir américain son pessimisme, et ses critiques sur les "dysfonctionnement du monde" (dixit le sociologue directeur de thèse au CNRS à l'origine de cette fameuse enquête introuvable). Sauf que dans ce faux roman policer l'auteur n'a que faire de se "méfier des interprétations et donc des hypertextes". D'où de sacrées digressions sur la saleté des rues de Naples (toujours au nom de la critique sociale). Cependant, sa sensibilité d'Averrel ne le mène pas toujours aussi loin, car à force de se confronter aux misères et aux drames du monde, on n'en ressort pas indemne. D'observateur naïf Averell va devenir cynique, limite pas concerné par ce qu'il voit, même lorsqu'il sauve sa voisine des poings de son mari : "J'avais tout à coup un nouveau sujet d'enquête. Dès que le temps serait un peu passé, [...] je pourrais lui demander comment on en arrive là. Mais je risquais d'être déçu. Peut être tout simplement le couple chômage/alcool". Paf. 

    Les anecdotes futiles s'ajoutent aux critiques risibles, et tout ça donne un curieux mélange, bien plus sérieux qu'on ne le pense. Alors même qu'il s'agisse d'un roman noir et qu'il soit daltonien, Averell fait nos yeux et notre nez en nous faisant ressentir ce qu'il y a de plus jouissif à profiter des couleurs, des odeurs, bref de tout ce qui met nos sens en éveil. Beau pied de nez ! La description des milles et une nuances de bleu par lesquelles passe la nuit est simplement magique. Et finalement on se surprend à tourner frénétiquement les pages, à lire ce livre comme un vrai roman policier, tant on a hâte de découvrir quel va être le mystère à élucider...

    En ne se prenant pas le moins du monde au sérieux, et en faisant passer son message avec un humour qui fait parfois mal, l'auteur nous offre t-il un récit vraiment si à contre-courant de ce qu'est le roman noir ? 

     
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    [Pour ceux qui veulent  tout prix hurler de rire et ceux dès maintenant ! Qui pestent contre tout et rien, ils trouveront un véritable second degré salvateur]

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  • Les noms familiaux ont beau changer, il reste toujours dans la descendance les traces de blessures anciennes. On peut croire qu'elles se dilueraient dans la transmission familiale, en vérité elles n'en ressortent que plus fortes, resurgissent par d'autres formes, prennent un pli inattendu ou se mêlent à des chagrins constitués avec le temps. Delphine a beau porter le nom de son mari, les catastrophes familiales dont elle est issu resteront en elle. 

    blog

    Alors pour tenter de comprendre sa mère, Delphine essaie de l'approcher dans ce qu'elle connaît d'elle aussi bien que ce qu'elle ignore. Pour cela, témoignages, photos, vieilles disquettes où le père se raconte, et autres archives familiales constituent autant de pièces à rassembler que de vérités, d'interprétations différentes. Tâtonnant littérairement à travers des prises de position différentes, au début narrateur extérieur donnant des traits romancés aux souvenirs d'enfance de Lucile, l'auteur reprend sa place de petite fille angoissée à l'idée que sa mère puisse se faire du mal. Du roman familial qui connaît les joies les plus réjouissantes, on assiste impuissant aux heures de pure angoisses, où Lucile passe de l'insouciance à l'absence, aussi bien physique que mentale, jusqu'à atteindre la folie. L'auteur parle avec ses yeux d'enfants d'un monde où il n'y a plus de place pour la stabilité. Malgré les chorégraphies qu'elle invente, les poupées éparpillées sur le sol et plus tard les bonbons qu'elle vole à l'épicerie, tenter d'agir comme n'importe quel enfant de son âge, aller jusqu'à oublier la menace qui pèse sur leur vie semble impossible. Sa mère gardera tout, toutes les babioles qui constitue l'histoire familiale. Et le plus important, elle aura pris le temps de dactylographier en plusieurs exemplaires ses écrits. Tant mieux, car pour s'approcher de l'origine de la souffrance, rien de mieux que ce qu'on laisse de soi, car c'est bien ce dont il est question dans ce livre. A travers l'écrit, Delphine cherche sa mère. Même s'il n'est pas envisageable de parler d'elle alors que Lucile se taisait.

    Alors comment parler d'elle ? Quelle place Delphine peut-elle occuper pour parler le mieux de sa mère, pour la laisser se révéler le plus possible, elle pour qui les mots ne s'écrivent plus qu'ils ne se disent ? Dans l'escapade que constitue les volutes de fumée et les verres à pied, elle ne laissera à ses filles que le silence auquel s'accrocher. En cherchant à fuir la douleur, Lucile s'éloignera aussi immanquablement de sa famille. L'alcool fait bon ménage avec la solitude. Celle qu'elle aime et impose. Ce qui est d'autant plus difficile pour écrire.

      Il faut trouver à l'auteur les bons mots, ceux qui exprime une vérité pure sur sa mère. Or comme dans toute expérience biographique, on n'a accès qu'à une connaissance partielle de l'autre; et quand les mots se révèlent incomplets pour l'exprimer, alors toute vérité se dérobe à nous. Pour autant, la subjectivité de l'auteur -il s'agit de sa mère et non pas d'un spécimen à étudier- se prête à une lucidité indéniable.  
    Au besoin de trouver l'origine du mal de Lucile, s'ajoute celui de confesser son expérience dans l'écriture. Il y a ainsi ses parenthèses de sincérité juxtaposé au récit, qui nous rendent encore plus proche non pas de l'écrivain mais de Delphine, de son humanité, car elle nous fait là le don entier de sa personne. C'est sans doute le plus beau que l'on puisse trouver dans ce livre : il ne s'agit pas de lointains personnages, d'enjolivement bluesques, et l'écriture n'a pas pour fonction de nous faire échapper du réel. En la rendant vivante à nous yeux, sa fille offre à Lucile le plus beau des "cercueils de papier". 
     
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    [Pour ceux qui veulent comprendre l'impact et les répercussions d'une famille sur eux, qui cherchent un témoignage de ce qu'est la schizophrénie, qui voudrait se défaire d'un passé familial, ou sentir que leur douleur est légitime]
     

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  • [G]Emma l'héroïne

    _ Critique mêlée du film et du livre sur (G)Emma Bova/ery
     
     
    Encore une fois, le lecteur se laisse prendre au jeu de l'illusion littéraire  tandis que les personnages, plus vivant que jamais, prennent le pas sur leur destin de papier... Ah moins qu'un lecteur trop corrompu par les belles-lettres ne décide de s'en mêler. Qui du lecteur ou du faux-personnage se perdra en premier ? Car tout semble coïncider pour faire de Gemma Bovery la  digne relève de celle dont elle semble avoir tout en commun, sa presque homonyme Emma Bovary. N'y a-t-il pas des signes  avant coureur du désastre qu'il faudrait empêcher, de trop troublantes similitudes dans ses deux femmes, au point que le petit boulanger de ce coin perdu de Normandie, devenu totalement obnibulé, tentera d'interférer dans l'Histoire elle-même ? Mais ne dit-on pas que les écrits restent ? Vivre à côté, où dans l'illusion de personnage de romans est bien plus dangereux de fausseté qu'on ne le croit... 
    Nous nous y perdons nous aussi ; tout en douceur, sans que rien ne semble l'y prédestiner, le déterminisme de ses deux histoires parallèles les réunira.  Il devient impossible d'y croire, malgré toutes les similitudes qui les lient, tant Gemma est dans le caractère l’anti  /  thèse d'Emma. Ce déterminisme qui semble les guider se propage doucement, sournoisement, presque délicatement dans ces vies, qui ne deviennent alors que les jouets du sort. 
     
    Manière d'aborder le film :
    En Philosophie : sommes-nous amené à répéter les mêmes patterns ?
    En Psychologie : Les actes d'autrui ont-ils une incidence sur mes choix ? 
    En Sociologie :  Comment les lieux dans lequel nous vivons ont-ils une prise sur nous ? (Le fait que l'histoire se déroule, même à plusieurs siècles d'intervalle, dans un lieu semblable, campagnard et en Bretagne, influence beaucoup la perception du boulanger jusqu'à l'induire en erreur)

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